On parle des « Accords de Bruno » dans la presse nationale et régionale :
23 NOVEMBRE 2013
OLIVIER BERTRAND
Photographies : Gilles Favier (Vu)
Plat à plat vers l’harmonie
Accords. Ancien chercheur en biologie, Bruno Stirnemann cuisine, chez lui ou chez ses clients, des menus très pointus. Ce soir, civet de cerf et alicante.
Dans la cuisine de son client, Bruno Stirnemann découpe des carrés d’une belle réglisse qui relèvera tout à l’heure la sauce d’un civet de cerf. La bête mijote doucement. Elle embaume la cuisine. On est chez Yves, un Belge qui possède une maison de vacances à Caux, dans la plaine de Pézenas (Hérault). Il a invité des amis à dîner ce soir, a demandé à Bruno de cuisiner. Au départ, Bruno était chercheur en physiologie de la reproduction, puis a travaillé dans l’industrie pharmaceutique. Il gagnait bien sa vie, fréquentait de grands restaurants, adorait discuter avec les chefs, découvrir des produits rares. Il cuisinait bien, avec sensibilité, précision. Ses amis lui conseillaient parfois d’ouvrir un restaurant. Mais il ne voulait pas s’embêter à attendre le client et subir les critiques du comptable qui trouve déraisonnable que l’on utilise la truffe ou le crustacé en restauration. Alors il a imaginé une activité sur mesure. Il déniche des produits très pointus, choisit des bouteilles qui s’accordent avec, et vous reçoit chez lui, ou cuisine chez vous, pour un repas mémorable. Son entreprise, toute jeune, s’appelle les Accords de Bruno (1). Il faut compter en moyenne 100 euros par convive. Pas donné, mais la marge ne doit pas être épaisse vue la qualité des produits et du vin.
Bruno Stirnemann, à Pézenas (Hérault) le 30 octobre. (Photo Gilles Favier. VU)
Guanciale. Ce soir, une dizaine de personnes sont attendues. L’excitation monte, tout le monde a entendu parler de la cuisine de Bruno. Et le festival commence. Certains des plats mettent surtout en valeur des produits, leurs alliances. En entrée, par exemple, des petites tartines d’anchois de la maison Roque (d’anciens tonneliers-saleurs de Collioure) avec de la guanciale (joue de porc de Toscane) et une réduction de vinaigre de La Guinelle, vinaigrerie artisanale des Pyrénées-Orientales (2). Ou plus tard une salade de tarbais, haricot pyrénéen. Cette variété grimpe traditionnellement sur les plants de maïs. Elle a failli disparaître, tuée par les semences sélectionnées, a été sauvée par une douzaine de paysans de la vallée de l’Adour qui ont fondé une coopérative (3) et obtenu en 2000 une IGP (indication géographique protégée). Bruno a fait tremper leurs haricots secs avant de les cuisiner avec de la tomate et de la graisse d’oie, de filtrer le jus, le relever avec du piment d’Espelette, puis accompagner cela d’une chlorophylle d’épinards blanchis dans une casserole et refroidis très vite à l’eau glacée, pour garder leur couleur vive, presque fluorescente. Des dés d’ossau-iraty, fromage basque, et des lamelles de porc noir de Bigorre, race à la chair persillée, sauvée elle aussi par des passionnés, accompagnent l’assiette, que relève un trait de vieux vinaigre de Xérès, pour la vivacité.
L’accord est compliqué. Le vin n’aime guère le vinaigre. Mais un jurançon noir, cépage assez rare du Sud-Ouest, fait l’affaire. Vinifié à Cahors par Fabien Jouves, qui produit des cuvées très classiques et d’autres plus expérimentales, il s’appelle «You fuck my wine !?». Arômes végétaux un peu lardés. Ça fonctionne bien ! Bruno pioche dans une cave de plus de 4 500 bouteilles, presque toutes uniques car il n’achète quasiment jamais par caisses ou cartons de six. Cela lui permet, pour un même budget, de compter presque autant de références que de bouteilles. Utile pour ajuster les accords.
Brame. Viennent ensuite deux plats extrêmement subtils. D’abord une petite tarte fine de rougets barbets de Méditerranée aux cèbes de Lézignan et lucques de Pézenas. Décomposons. Le chef a fait la veille une pâte feuilletée découpée en tartelettes, sur lesquelles il a posé des tranches très fines de cèbes de Lézignan, bel oignon plat et doux produit à quelques kilomètres de Pézenas. Un coup de pinceau d’une belle huile d’olive, un peu de sel, de poivre, puis il a précuit afin de faire fondre la cèbe. Chez le client, il se contente de poser d’épais filets de rougets sur ses tartelettes. Il a tendance à faire des portions généreuses. Sa grand-mère alsacienne avait épousé un pied-noir, il s’est nourri des deux cultures. Quelques secondes sous le grill et les filets ressortent fermes, délicieusement iodés. On les mange avec des olives lucques et des bâtonnets de glace d’huile d’olive. Avec cela ? Un carignan blanc 2003 du domaine Conte des Floris (lire Libération du 19 octobre).
Bruno mange toujours avec ses clients. Il explique ses vins, ses accords, ses secrets de cuisine. Sans écraser l’amateur de son expertise. Il quitte la table régulièrement, pour préparer le plat suivant. Et soudain on retient un brame de plaisir en voyant arriver le cerf qui mijotait tout à l’heure. Sa sauce est un voyage. Bruno a fait fondre dedans de la réglisse culinaire danoise (4), puis a ajouté un petit peu de piment Habanero, variété antillaise qui pique fort avant de redescendre vite, ce qui permet aux autres arômes de s’exprimer. Des navets de Pardailhan accompagnent.«Produits sentinelle» du mouvement «slow food» (5), ils poussent sur un plateau riche en oxydes de fer. Ont la peau noire et la chair blanche, un délicieux goût de noisettes. Certains ont été poêlés avec du miel et des cèpes, d’autres râpés crus dans l’assiette, ce qui apporte une belle fraîcheur. Des lamelles de cèpes crus ajoutent des arômes de sous-bois, longs en bouche.
Un plat goûteux, puissant, encore difficile à marier ? Bruno a choisi un alicante, cépage qui servait autrefois à donner de la couleur aux crus trop pâlichons. Issu du domaine de La Sorga d’Anthony Tortul (des dizaines de cuvées et de cépages différents), il sent le cassis, la mûre sauvage, la framboise. Est structuré mais souple, légèrement réglissé. Tient tête à ce drôle de plat.
Les yeux commencent à briller quand le fromage arrive. Des pélardons affinés, sur lesquels Bruno a déposé quelques filaments de safran de Neffiès, un village voisin. C’est servi avec une compotée de pommes et coings cuits au banyuls blanc, dans laquelle il a laissé infuser du safran. Il propose avec cela un rancio sec du domaine des Schistes, dans la vallée de l’Agly (Pyrénées-Orientales). Le vin (grenache blanc et maccabeu en surmaturité) est élevé en milieu oxydatif : on ne remplit pas les tonneaux lorsque le vin s’évapore, ce qui permet une lente oxydation qui apporte des arômes complexes, des amertumes subtiles. Elles siéent au crémeux du fromage tandis que les notes de fleurs médicinales prolongent le safran.
A ce stade, on a desserré discrètement la ceinture sous la table. Et le dessert arrive. Gelée de fleurs d’hibiscus avec des framboises entières et une crème de mascarpone préparée avec un peu d’amande amère et un confit de roses séchées. Deux vins viennent accompagner épilogue. Un gaillac sec cépage ondec de la famille Plageoles, vignerons qui se sont battus pour réhabiliter, au-dessus d’Albi, des variétés interdites. Et un pétillant rouge italien, brachetto d’acqui de Giacomo Bologna. L’ondec apporte une amertume de fin de bouche qui rappelle l’amande du mascarpone, tandis que le brachetto ajoute des arômes de framboise, de fraises des bois écrasées, mais aussi de pétales de roses fanées. Un régal qui résonne bien après la fin du repas. Quelques notes remontent sur la route du retour, qu’un cerf parfumé au rancio traverse sur la pointe des sabots.
(1) www.accords-de-bruno.fr
(2) www.levinaigre.com
(3) www.haricot-tarbais.com
(4) http://lakrids.nu
(5) www.slowfood.fr/les-sentinelles-slow-food-en-france
Par Olivier Bertrand Envoyé spécial à Caux (Hérault) Photos Gilles Favier . Vu
Janvier/Février 2015
Marina de Baleine dans Terre de Vins N°33
Photographie : Emmanuel Perrin
Article en ligne sur le site d’Objectif-LR
15 décembre 2014
Caroline Lemaître dans Vent Sud N°51
BRUNO STIRNEMANN,
Esthète du bon goût
NI SOMMELIER, NI CUISINIER, BRUNO STIRNEMANN EST UN SCIENTIFIQUE. DE SA VIE DE CHERCHEUR EN BIOLOGIE, IL A GARDÉ LE GOÛT DE L’EXPÉRIENCE, CAR S’IL EST UN MYSTÈRE QU’IL AIMERAIT PERCER, C’EST L’ALCHIMIE QUI PEUT NAÎTRE ENTRE UN PLAT ET UN VIN. IL EST PASSÉ AUX FOURNEAUX POUR MIEUX EXPLORER CES ACCORDS.
Transmettre 30 ans de sensations et de saveurs. Bruno Stirnemann ne veut pas garder tout ça pour lui. Autodidacte passionné, ce chercheur de formation est un amoureux des arômes, toujours en quête de nouveaux goûts. Malgré une éducation normande où les bonnes bouteilles n’étaient pas rares sur la table familiale, c’est curieusement en Nouvelle-Calédonie qu’il a fait ses premières armes de dégustateur.
« En deux mois, j’ai goûté les plus grands vins du monde entier », se souvient-il. À 22 ans, il commence sa première cave, bouteille par bouteille. Il détient aujourd’hui 5000 vins différents dont il se souvient chaque achat et même chaque prénom de vigneron.
Son intérêt pour la cuisine s’est vite manifesté. Connaisseur au palais de choix, Bruno a rapidement réussi à pénétrer dans les cuisines des chefs y glanant nombre de tuyaux.
« Je me suis mis à cuisiner pour mes amis, puis les amis de mes amis. Je commence toujours par choisir les vins en fonction des personnes qui seront à table, puis je me demande qu’est ce qu’on pourrait bien manger avec », raconte Bruno qui n’a aucun complexe de ne pas avoir eu de formation « officielle ».
Au rythme d’un à 2 repas par semaine entre Paris et la Normandie, tout en continuant d’exercer son travail, Bruno a fini par se faire sérieusement la main, mais aussi par se poser quelques questions, sauf celle d’ouvrir un restaurant. Il veut garder sa liberté et le plaisir de passer à table avec les convives, pas seulement celui de passer les plats.
« J’essaie toujours que le menu suscite la surprise pour que les gens gardent du repas un souvenir mémorable », confie-t-il.
Bruno Stirnemann, esthète du bon goût (Photo C. Caville)
En 2000, tout s’accélère, il déménage à Pézenas (34) puis a l’opportunité de quitter son entreprise. Il peaufine son projet, se teste et crée en 2012 sa société, les Accords de Bruno. Mais Bruno n’a rien d’un chef à domicile, même s’il vient cuisiner à la maison.
Le principe des Accords de Bruno est de proposer 4 plats et 8 vins à une douzaine de convives pour un dîner qui peut durer entre 4 et 5 heures.
« Je sélectionne deux vins intéressants par plat pour que l’on puisse discuter de l’accord, que chacun exprime ses préférences et ses sensations. C’est une manière de libérer la parole autour du vin. Personne n’a tort ou raison. Tout est très subjectif », reprend-il.
Pour mettre en valeur les flacons d’exception de ce fin connaisseur, il faut des produits remarquables. Là, Bruno s’avère un fin limier, bénéficiant d’un réseau de fournisseurs tout aussi discrets que précieux, qui peuvent lui trouver exactement ce qu’il recherche en un temps record. « Je peux aller sur des choses très rares pour faire le plat dont j’ai envie avec un vin précis », reconnaît-il.
L’une de ses sources d’inspiration de prédilection est l’Italie dont il marie à merveille les produits avec ceux d’ici et d’ailleurs. Truffe, champignon, crustacés et coquillages sont souvent en bonne place sur ses menus. Il aime aussi explorer des thèmes, des saisons pour composer avec harmonie et subtilité un dîner d’exception. « Je ne suis pas un puriste du produit d’un seul endroit ! Il y a plein de choses très intéressantes et des gens qui travaillent admirablement bien partout », détaille Bruno qui n’aime pas le prêt à penser qui sévit dans le milieu de la gastronomie. Il préfère cultiver l’éclectisme avec pour seul critère la qualité qu’il attend. Sa seule exigence est « un petit couteau qui coupe ». Pour le reste, il s’occupe de tout.
Les Accords de Bruno – Tél. : 06 60 17 41 55 – www.accords-de-bruno.fr
Château-d’yquem : jusqu’à la lie… coeur
La journée touchait à sa fin, la lumière se faisait rasante sur les vignes languedociennes. Quelques grains oubliés faisaient la joie d’une grive. Le vent ramenait l’écho d’une route lointaine. La fatigue rôdait, calmée par l’excitation. Nous allions boire (pour la première et sans doute dernière fois de ma vie) un château-d’yquem 1929, millésime béni des amateurs de sauternes. C’est rarement ma tasse de vin : souvent trop lourd, trop sucré, manquant d’équilibre, d’acidité. Je garde quand même un bon souvenir de quelques crus-barréjats.
Qu’allait donner cette vieille dame sortant de près de quatre-vingts ans d’hibernation ? Yves était ému de partager cette bouteille offerte par sa tendre. Bien avant le repas, il l’avait ouverte lentement. A tour de rôle, chacun l’avait prise pour regarder l’étiquette, avec cette angoisse vertigineuse de la laisser échapper. Si cela m’était arrivé, je serais parti en courant me réfugier dans une pension de famille discrète de la banlieue d’Oulan-Bator. Large, le bouchon n’avait visiblement jamais été remplacé, semblait très imbibé. Le niveau du vin était haut, bon signe. La couleur, en revanche, était étonnante. Sombre pour un sauternes, un peu comme un porto. Chacun s’inquiétait in petto, se demandait si cette couleur n’annonçait pas une bouteille trop évoluée. Yves a senti, et souri. Un copain avait préparé un joli foie gras, cuit au sel. D’ordinaire, je trouve l’accord assez misérable, mais avec un vin plus vieux, moins liquoreux, cela pouvait être intéressant. Une très bonne baguette coupée dans la largeur pour les toasts. Dessus, les tranches de foie, coiffées de lamelles d’une jolie truffe blanche d’Alba. En route vers les gosiers ardents.
Première surprise : en bouche, le vin était nettement moins évolué que ce que la robe laissait craindre. Plus de fraîcheur que la plupart des bons sauternes de trente ou quarante ans plus jeunes. D’après celui qui avait préparé le foie gras, cela fonctionnait comme une fusée à trois étages. Ce n’est pas faux. D’abord des notes de miel, d’encaustique ; puis les classiques arômes d’agrumes confits des vieux sauternes – une pointe de litchi en plus – ; enfin des notes plus herbacées, d’eucalyptus. Au retour, j’ai choisi de petites routes de l’arrière-pays. Fenêtre ouverte, je guettais les odeurs de la nuit, et plongeais dans la mémoire de cette bouteille. Perché comme une grive sur des grains d’arômes tardifs.
Le carignan blanc, dans toute son ampleur
Le repas avançait et Bruno a rapporté de la cuisine des spaghettis fraîches à l’encre de seiche. Il les avait cuites dans un bouillon de coquillages, avant de les passer dans une belle huile d’olive (du domaine viticole toscan Tenuta San Guido). Puis avait râpé dessus de la poutargue et ajouté les traits d’encre sur les bords des assiettes. Dans une carafe, un cépage rare. Le carignan blanc de la cuvée «Lune blanche» de Daniel Le Conte des Floris, à Caux, près de Pézenas (Hérault). L’une de mes sœurs m’avait justement offert six bouteilles du bonhomme. Son parcours est particulier. Au départ, il était chercheur en mathématiques, enseignait à l’Ecole des Mines, puis a commencé à écrire des articles scientifiques, travaillé à France Culture, au Centre national du cinéma. Avant de passer aux choses sérieuses : faire du vin. Pour assurer la transition, il s’est fait embaucher à la Revue du vin de France, écrivait en même temps qu’il faisait ses classes dans la vinification à Beaune (Côte-d’Or).
Quand il a vraiment décroché, il a cherché des vignes autour de Pézenas : la terre y est abordable pour le vigneron et profitable pour le vin. Il a mis quatre ans à choisir les parcelles (7 hectares). Il voulait les adapter aux cépages qu’il plantait. Du basalte pour le carignan, du schiste pour la syrah, des cailloux du Villafranchien pour le grenache, etc.
«Puis un jour,j’ai acheté une parcelle de carignan blanc complètement par hasard, raconte-t-il. Je ne savais même pas que ça existait. Ce qui m’intéressait au départ, c’est le petit mazet construit dessus.» Trop méconnu, le carignan blanc est un cépage tardif. Le Conte des Floris le ramasse en trois fois, pour garder à la fois acidité et maturité. «Ce cépage prend très bien le bois», note-t-il. Une fois la fermentation démarrée, ses jus sont vinifiés puis élevés un an en barriques. Un vin plein sur la fraîcheur, l’ampleur, plus que sur les arômes. «Le carignan blanc permet de jouer sur la trame du vin, la densité, la vivacité, moins sur les arômes», confirme le vigneron. Un vin à la belle tension, qui, paraît-il, ne faiblit pas avec les années. «C’est pour cela qu’il fonctionnait sur les pâtes, conclut Bruno. Le côté minéral, caillouteux, salin, répondait à l’encre de seiche, pendant que l’ampleur affrontait la puissance de la poutargue sans se laisser écraser.» On confirme et on reviendra.
Daniel Le Conte des Floris, 19, av. Emile-Combes, Pézenas (34). Rens. : 06 16 33 35 73. www.domainelecontedesfloris. com
Un Cuilleron pour couper à travers bois
Cela faisait quelques semaines que nous ruminions l’escapade. Deux jours en Catalogne avec des copains. Le rendez-vous avait été fixé la veille au soir à Pézenas, pour filer le lendemain en Espagne, et ce premier dîner fut grandiose. Nous avons été reçus par un drôle de garçon, Bruno, tout en sensibilité culinaire et connaissance encyclopédique des vins. Le repas avait commencé avec une sorte de millefeuille de pomme et d’andouille de Vire, alternance de tranches fines et arrondies. Deux longues lamelles de parmigiano reggiano affiné trente mois étaient posées, perpendiculaires, au-dessus, comme un rotor et ses pales, arrosées d’une vinaigrette de noisette. Un régal. La pomme donnait le croquant et l’acidulé. L’andouille le gras et le fondant. Un vino spumante de Campanie, Feudi di San Gregorio, cépage greco, accompagnait cela.
Plusieurs plats suivirent. Notamment des spaghettis à l’encre de seiche dans lesquelles je me plongerai la semaine prochaine, car elles étaient accompagnées d’un blanc intéressant dont le vigneron était à table. Puis vinrent des côtelettes d’agneau du pays Cathare, avec des fleurs et de jeunes légumes, carotte jaune, radis redmint, artichauts poivrade du Roussillon, haricots gourmands, ail nouveau. Et une divine crème d’artichaut à la truffe blanche. Bruno avait prévu un vin australien, The Steading 2002 de la maison Torbreck, qui vient de perdre la majorité de son capital, mangé par ses investisseurs. Las, la bouteille était légèrement bouchonnée. Quand ça ne veut pas…
J’avais apporté un côte-rôtie d’Yves Cuilleron, cuvée Bassenon 1999, beau millésime de la vallée du Rhône, et Bruno avait choisi de la mettre face à Torbreck. Elle l’a, du coup, suppléé. Le vin était dense et soyeux, avec des arômes de fumé, de lard, des épices. Quelque chose de poivré, d’animal, sur du velours. Le plat recelait des pièges pour le vin : artichaut, haricots, radis. Mais il soutenait la texture de ces légumes sans les écraser ni se laisser déstabiliser. J’ai longtemps trouvé les vins de Cuilleron flatteurs à l’élevage, puis trop boisés quelques années plus tard. Charmeurs, toastés, mais avec des arômes de bois dominant ceux du fruit. J’ai compris ce soir-là qu’au moins sur les grandes cuvées et les bons millésimes du domaine, il faut attendre vraiment longtemps, le fruit reste là quand le bois est parti. Dommage, car je pensais que c’était la dernière de la cave. Et puis, le week-end dernier, cherchant des flacons oubliés, j’en ai retrouvé une, glissée derrière des saint-joseph. Elle était toute poussiéreuse. Elle aidera à passer l’hiver.
Cave Yves Cuilleron, Verlieu (42). Rens. : www.cuilleron.com